À qui ce livre est-il destiné ?

En dépit de son style parfois espiègle et son côté qui apparaitra à certains excessivement  provocateur, ce livre est à la fois sérieux et véridique mais aussi libéré. Cinquante ans après les faits, il y a à nos yeux prescription, bien que nous nous soyons en son temps engagés au « secret promotionnel ». Il s’adresse cependant à un public averti, et comme un public averti en vaut deux, nous ne doutons pas que le tirage sera au moins le double de ce qu’il mérite.

Il est tout d’abord destiné à nous-mêmes, camarades de la 64 qui avons vécu ensemble ces quelques années de notre jeunesse, à la charnière entre la fin de l’adolescence studieuse et le début de la majorité pas encore professionnelle, où nous étions censés être internes, en uniforme, et soumis à des contraintes que nous avons su aménager grâce à notre cohésion et aux traditions que nos illustres (ou non) anciens avaient fait accepter par notre encadrement tant militaire que civil. Il y avait des limites et des bornes que nous avons su enfreindre avec panache mais sans jamais nous écarter de la dignité de notre situation privilégiée d’élite d’une Nation qui finançait notre apprentissage, et dont nous étions débiteurs d’un juste retour sur cet investissement.

Il est destiné à nos compagnes (ou à nos compagnons) qui subissent parfois sans broncher, et souvent sans disposer des clés, nos divagations polytechniciennes (en français, nos divagations carvas, mais qui connait encore et surtout pratique le vocabulaire d’une langue qui n’a droit qu’au qualificatif d’argot ?), mais aussi à nos enfants, dont certains (et certaines maintenant) ont fait « comme papa » pour la plus grande fierté de leurs géniteurs.

Il est également destiné à tous (et toutes) nos camarades des promos qui nous ont précédées ou de celles qui nous ont succédées, qui y retrouveront plus ou moins leurs expériences, leurs souvenirs ou au contraire des témoignages de mœurs qu’ils (ou qu’elles) ont mal vécus ou pas vécus du tout, qu’ils critiquent, encensent ou condamnent. Nous leurs disons surtout de ne pas chercher plus loin qu’une série de flashs, livrés à la mémoire et à l’Histoire, sans grande prétention, quoique -il faut le dire- nous sommes fiers de ce que nous avons fait et nous n’avons aucune honte, bien au contraire, à en parler avec la plus grande franchise.

Les temps ont évidemment changés, la Liberté était encore une réalité et pas seulement un substantif en relief, oublié sur le fronton de nos mairies, le principe de précaution était dans nos têtes et guidait intuitivement nos actions sans être gravé dans la Constitution et nul n’imaginait qu’un jour un concept  du nom de « politiquement correct » viendrait stériliser l’expression populaire et le respect de traditions formatrices. Il est souvent de bon ton aujourd’hui de vouer aux gémonies et de vilipender des pratiques qui sont considérées désormais comme des exactions insupportables et, pourquoi pas, relevant même d’un Tribunal correctionnel, ou au moins de la vindicte populaire (celle de la nouvelle élite des bien pensants). Mais nul d’entre nous ne peut nier que ce passage de la ligne qui a duré deux ans a été fondamental pour nous permettre ensuite de faire face et d’assumer pendant plusieurs dizaines d’années notre rôle de chefs, de cadres, de dirigeants, de leaders et d’ingénieurs au service des hommes, de la nature et de la collectivité.

Il est aussi destiné à tous ceux que nous n’avons pas cités et qui y trouveront ce qu’ils voudront y trouver ou qui regretteront de ne pas y trouver ce qu’ils espéraient y trouver.